Passer au contenu
Français

Une majorité de grands émetteurs de carbone négligent les risques climatiques dans leurs états financiers

Selon une nouvelle étude de l’initiative Carbon Tracker et du Climate Accounting Project, plus de 70 % des plus grands émetteurs de carbone au monde, dont Chevron et ExxonMobil, n’ont pas tenu compte du climat dans leurs états financiers de 2020 et n’ont pas fourni d’indication sur les raisons pour lesquelles la question du changement climatique pourrait ne pas être importante pour leurs activités. De plus, 80 % des vérificateurs n’ont pas semblé évaluer les effets des risques climatiques lors de la vérification financière de ces entreprises.

En réaction à cette étude, des investisseurs institutionnels britanniques, danois et suédois, qui gèrent plus de 2 500 milliards de dollars américains d’actifs, ont demandé aux gouvernements de contraindre les entreprises à déclarer les conséquences financières des efforts mondiaux pour restreindre le réchauffement en dessous de 1,5 degré Celsius. Le 20 septembre 2021, Reuters a rapporté que ces investisseurs soutiennent que des états financiers qui ne prennent pas en compte les impacts climatiques importants informent mal les dirigeants, les actionnaires et les créanciers et, par conséquent, entraînent une mauvaise orientation des capitaux. Ils considèrent qu’il est essentiel que les sociétés clarifient l’impact financier du changement climatique afin qu’ils puissent prendre des décisions d’investissement éclairées, conformes aux objectifs de l’Accord de Paris.

Soulignons que l’absence des risques climatiques dans les états financiers de grands émetteurs de carbone apparaît pour le moins sidérante, étant donné les engagements pris par certains d’entre eux pour lutter contre le réchauffement, comme l’atteinte de la carboneutralité, et les risques financiers non négligeables qui sont rattachés à la crise climatique, par exemple en ce qui a trait aux risques d’actifs échoués pour les entreprises pétrolières, gazières et houillères. Pour survivre et assumer leurs responsabilités à l’égard de leurs parties prenantes, de nombreuses entreprises devront s’adapter rapidement et s’engager pleinement dans la transition énergétique, à commencer par celles qui exercent leurs activités dans le secteur des hydrocarbures.

En octobre 2021, l’Agence internationale de l’énergie a d’ailleurs lancé de sérieux avertissements, clouant au pilori « la résistance du statu quo et des énergies fossiles ». Elle estime que la « transition est trop lente » et qu’à défaut d’investir plus massivement et rapidement dans les énergies propres pour répondre aux besoins futurs, nous subirons non seulement un réchauffement incontrôlable, mais aussi des « turbulences » en matière d’approvisionnement. Rappelons qu’en mai 2021, l’Agence affirmait que pour éviter une hausse supérieure à 1,5 degré Celsius par rapport aux niveaux préindustriels et parvenir à la carboneutralité d’ici 2050, nous devons mettre fin à tous les nouveaux projets d’exploration pétrolière et gazière. De plus, nous devons nous préparer à ce que 90 % de l’électricité provienne d’énergies renouvelables en 2050, tandis que les combustibles fossiles ne fourniront plus que 20 % de l’énergie, contre 80 % aujourd’hui.

Une étude parue dans la revue Nature le 8 septembre 2021 va encore plus loin. D’après les chercheurs, pour permettre une probabilité de 50 % de limiter le réchauffement en dessous de 1,5 degré Celsius, 60 % des réserves de pétrole et de gaz et 90 % des réserves de charbon devront demeurer sous terre. De plus, la production pétrolière et gazière devrait diminuer de 3 % chaque année dans le monde, jusqu’en 2050. Toutefois, l’humanité semble engagée sur la trajectoire inverse. Le 20 octobre 2021, les Nations Unies ont publié le rapport 2021 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de production de gaz et de pétrole, qui montre que malgré leurs déclarations et leurs engagements envers le climat, les États prévoient de produire en 2030 une quantité de combustibles fossiles plus de deux fois supérieure à celle compatible avec la limitation du réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius. À ce rythme, nous ne serons bientôt plus « au bord de l’abîme », pour citer le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, nous aurons carrément un pied dedans.

Sources : Nations Unies, « La hausse de la production de combustibles fossiles est en décalage avec les ambitions climatiques », ONU Info, 20 octobre 2021, réf. du 20 octobre 2021, https://bit.ly/2Zah2Uc ; Catherine Hours, « L’Agence internationale de l’énergie lance un “sérieux avertissementˮ », AFP, La Presse, 13 octobre 2021, réf. du 20 octobre 2021, https://bit.ly/3phyt0p ; Pauline Fricot, « Réchauffement climatique : l’humanité doit se passer de 60 % du pétrole et du gaz et de 90 % du charbon », Novethic, 29 septembre 2021, réf. du 20 octobre 2021, https://bit.ly/2Z5wuSg ; Simon Jessop, « Investors call for governments to toughen climate accounting - letter », Reuters, 20 septembre 2021, réf. du 20 octobre 2021, https://reut.rs/3jlkti6 ; Carbon Tracker, Flying blind: The glaring absence of climate risks in financial reporting, 16 septembre 2021, réf. du 20 octobre 2021, https://bit.ly/3AXregb ; Dan Welsby et autres, « Unextractable fossil fuels in a 1.5 °C world », Nature, 8 septembre 2021, réf. du 20 octobre 2021, https://go.nature.com/3B1ukzE ; Ludovic Dupin avec AFP, « Pour l’Agence internationale de l’énergie, tous les nouveaux projets pétroliers et gaziers sont désormais indésirables », Novethic, 18 mai 2021, réf. du 20 octobre 2021, https://bit.ly/3E0g1NK ; Nations Unies, « Changement climatique : “Nous sommes au bord de l’abîmeˮ, selon le chef de l’ONU », ONU Info, 19 avril 2021, réf. du 20 octobre 2021, https://bit.ly/2Xvo9pX