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Risques de l'écoblanchiment pour les entreprises publiques : les régulateurs intensifient les actions

Les autorités de régulation européennes et américaines devraient examiner de plus près les déclarations des entreprises publiques et institutions financières en matière d'environnement, de société et de gouvernance (ESG), en introduisant de nouvelles règles de divulgation et de certification et en renforçant l'application de la réglementation. Ces mesures interviennent alors que l'on craint de plus en plus que les entreprises n'exagèrent leurs performances en matière de développement durable afin de tirer parti de la demande croissante d'investissements verts.

Le principal point focal de l'application est l'"écoblanchiment", un terme qui décrit le fait qu'une société cotée en bourse, un fonds commun de placement ou un autre véhicule d'investissement public fait une déclaration trompeuse concernant ses politiques ou ses performances en d’ESG.

Preuve de cette application croissante, les régulateurs américains et européens ont pris des initiatives et ont enquêté sur des affaires d’écoblanchiment très médiatisées en 2022 et 2023.

 

  • Les évolutions réglementaires

Ces actions trouvent leur origine à différents endroits, notamment le 4 mars 2021, lorsque la SEC a annoncé la création d'un groupe de travail sur le climat et l’ESG au sein de sa « Division of Enforcement », afin de se concentrer sur les lacunes et les inexactitudes liées à l'ESG dans les informations communiquées par les sociétés cotées en bourse, les fonds communs de placement et d'autres véhicules d'investissement. Les législations nouvelles ou à venir dans les différentes juridictions élargiront encore le cadre juridique sur lequel les régulateurs peuvent s'appuyer pour agir.

 

  • Canada

Outre les activités des consommateurs et des concurrents, l'écoblanchiment est devenu une priorité de plus en plus importante pour les organismes chargés de l'application de la loi au Canada, notamment le Bureau de la concurrence. La loi sur la concurrence interdit aux entreprises de faire des déclarations fausses ou trompeuses au public afin de promouvoir la vente ou l'utilisation d'un produit, d'un service ou d'un intérêt commercial. Pour déterminer si une déclaration est considérée comme "importante", le Bureau examine si elle peut influencer le comportement des consommateurs, par exemple les inciter à acheter ou à utiliser les produits ou services annoncés.

  • États-Unis

La SEC faisait usage de ses pouvoirs existants et les appliquait simplement dans le contexte de l'écoblanchiment. On s'attendait à ce que la SEC procède à davantage d'enquêtes et d'amendes liées à l'ESG cette année. Le principal organisme de réglementation de Wall Street a récemment adopté une nouvelle règle visant à réprimer l'écoblanchiment et d'autres pratiques commerciales trompeuses ou mensongères de la part des fonds d'investissement américains. Les modifications apportées à la "règle du nom" (Name Rule) de la SEC, vieille de deux décennies, exigent que 80 % du portefeuille d'un fonds corresponde à l'actif annoncé par son nom. Les fonds d'investissement dont les actifs sont égaux ou supérieurs à 1 milliard de dollars disposeront d'un délai de12 mois pour se conformer aux modifications, et les fonds d'investissement dont les actifs sont inférieurs à 1 milliard de dollars disposeront d'un délai de 18 mois.

  • Royaume Uni

Au Royaume-Uni, la nouvelle règle anti-écoblanchiment exigera des entreprises qu'elles veillent à ce que toute référence aux caractéristiques de durabilité d'un produit ou d'un service soit cohérente avec le profil de durabilité du produit ou du service et qu'elle soit claire, équitable et non trompeuse. Cette nouvelle règle de la FCA envoie un signal clair que le régulateur adopte une approche interventionniste vis-à-vis de l’écoblanchiment. La FCA n’a pas attendu la mise en œuvre des nouvelles règles en juin 2023 pour examiner ou prendre des mesures coercitives à l'encontre de pratiques présumées d'écoblanchiment.

Plus récemment, l'Autorité des normes publicitaires (ASA) va commencer à renforcer l'application des règles relatives à l'utilisation de termes tels que "neutre en carbone", "net zéro" et "positif pour la nature" dans le cadre d'une campagne de lutte contre l'écoblanchiment, dans le courant de l'année, après un examen qui aura duré six mois.

  • Union Européenne

Le règlement de l'UE sur la divulgation en matière de finance durable (SFDR), a déjà introduit des exigences et des critères de divulgation plus stricts pour les investissements classés comme durables, inscrivant essentiellement dans la loi ce que les entreprises financières peuvent prétendre être écologique. L'UE prévoit également d'introduire des règles plus strictes pour d'autres produits et services que les entreprises souhaitent qualifier de durables.

 

  • Les enquêtes

 

  • Canada

En octobre 2022, le Bureau a décidé d'enquêter sur des accusations de publicité trompeuse à l'encontre de la Banque Royale du Canada ("RBC"). La plainte accuse la RBC de vanter ses engagements en faveur de l'action climatique tout en continuant à financer le développement des combustibles fossiles. L’enquête est toujours en cours. Ecojustice, l’un des groupes de défense de l'environnement qui avance ces arguments, a suggéré que si l'enquête du Bureau de la concurrence conclut que les déclarations de RBC sont trompeuses et fausses, la banque pourrait être contrainte de cesser de s'afficher comme soutenant les principes de l'Accord de Paris et visant à atteindre des objectifs d'émissions nettes nulles d'ici 2050.

  • États-Unis

L'année dernière, la SEC a infligé des amendes de 1,5 million de dollars à BNY Mellon Corp. et de 4 millions de dollars à Goldman Sachs Group Inc. pour des déclarations erronées en matière d'ESG et des manquements aux politiques au sein de leurs unités de gestion des investissements.

  • Royaume Uni

L'année dernière, l'Advertising Standards Authority du Royaume-Uni a décidé d'interdire les publicités trompeuses de HSBC Holdings PLC sur le climat, tandis que l'autorité britannique de la concurrence et des marchés a récemment lancé une enquête sur les allégations écologiques faites par des sociétés vendant des produits ménagers essentiels. La première enquête porte sur les déclarations environnementales relatives à certains biens de consommation (tels que les aliments et les boissons, les produits de nettoyage, les articles de toilette et les articles d'hygiène personnelle). La seconde enquête porte sur un large éventail de déclarations environnementales faites par trois marques de mode sur leurs vêtements, chaussures et accessoires. De plus, dans le cadre de la lutte contre l'écoblanchiment, l'organisme britannique de surveillance de la publicité a interdit un groupe de publicités de grandes compagnies pétrolières et gazières pour cause de tromperie.

Depuis peu, les publicités qui prétendent que les produits sont neutres en carbone grâce à des compensations vont être interdites par l'organisme britannique de surveillance de la publicité, à moins que les entreprises ne puissent prouver qu'elles fonctionnent réellement. Gucci est la dernière entreprise en date à se heurter à un engagement environnemental de premier plan fondé sur la compensation.

  • Union Européenne

En Allemagne, en mai, la police a perquisitionné les bureaux de Francfort du groupe DWS et de son actionnaire majoritaire, la Deutsche Bank AG. La société d'investissement DWS, contrôlée par la Deutsche Bank versera 25 millions de dollars pour répondre à des accusations concernant des déclarations erronées sur ses investissements ESG et des manquements dans les politiques visant à prévenir le blanchiment d'argent.

  • Australie

Dans un cas récent, l'Australian Securities and Investments Commission a accusé la société américaine Vanguard d'inexactitudes dans ses déclarations ESG. L'ASIC reproche à la société d'avoir eu un comportement trompeur concernant certains critères environnementaux, sociaux et de gouvernance appliquée aux investissements dans ses fonds. L'ASIC demande des déclarations et des sanctions pécuniaires au tribunal.

  • Ce que l’on peut attendre

 

  • Au Royaume-Uni et aux États-Unis, le marché du financement des litiges liés aux réclamations en matière d'ESG se développe, tout comme la volonté des activistes d'aller devant les tribunaux. Face à cette surveillance accrue, les institutions financières sont confrontées à un défi de taille : faire en sorte que leurs déclarations sur le développement durable soient conformes aux attentes réglementaires en constante évolution.

 

  • Les actionnaires et les activistes sont susceptibles de jouer un rôle. Pour les grandes institutions mondiales, il sera particulièrement difficile de contrôler ce qui est dit publiquement sur le développement durable au sein de leur entreprise. Les banques seront également confrontées à des défis pratiques en matière d'approvisionnement et de vérification des données ESG sur lesquelles elles fondent leurs affirmations en matière de développement durable.

 

  • L'obligation potentielle de fournir des informations sur le champ d'application 3 des émissions de GES, qui comprend la déclaration des émissions de carbone des fournisseurs externes, et le court délai pour s'y conformer, pourraient laisser de nombreuses entreprises mal préparées. Les règles étant susceptibles d'entrer en vigueur à la fin de l'année 2023 ou en 2024, les entreprises ont peu de temps à perdre.

 

Ces tendances sont susceptibles d'entraîner des changements souhaitables dans les pratiques des entreprises en matière de développement durable. La publication transparente de données clé, tant agrégées que désagrégées, permettra aux investisseurs d'accéder à des informations utiles à la prise de décision. Ces informations peuvent être analysées pour leur permettre d'identifier les risques. L'utilisation de l'ensemble de la chaîne de valeur des émissions permet également aux investisseurs de prendre des mesures quantifiables pour faciliter leur prise de décision en matière d'investissement.